Suite à une plainte du conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB), Valérie Murat a été condamnée pour avoir démontré, preuves de laboratoires à l’appui, que des vins étiquetés « Haute Valeur Environnementale » contenaient des pesticides. Plusieurs personnalités lui apportent ici leur soutien.
Touche pas à ma viticulture ! On savait déjà la Gironde viticole gourmande en pesticides, peu regardante sur les conséquences sanitaires et environnementales de ses pratiques, mais on n’imaginait pas qu’elle était à ce point prête à tout pour faire taire les critiques !
Menace de mort sociale
Sur plainte du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB), qui a la haute main sur la viticulture girondine depuis des décennies, le tribunal judiciaire de Libourne a lourdement condamné le 25 février dernier l’association « Alerte aux toxiques » et sa porte-parole Valérie Murat pour avoir démontré, preuves de laboratoires à l’appui, que des vins étiquetés « Haute valeur environnementale » contenaient des pesticides de synthèse, y compris cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques.
Pour avoir rempli sa fonction de lanceuse d’alerte, qu’elle poursuit inlassablement depuis la mort de son père, viticulteur, à la suite d’un cancer lié aux pesticides, Valérie Murat est aujourd’hui menacée de mort sociale par une profession qui tente de faire taire celles et ceux qui l’accusent de déni. Une profession qui semble vivre dans l’illusion que ne pas voir, c’est ne pas savoir, et que ne pas savoir la soulage de ses responsabilités.
Par la violence et la démesure de la peine, 125 000 euros de dommages et intérêts à acquitter avant de pouvoir interjeter appel, le tribunal de Libourne semble hélas avoir épousé la cause du silence. Fallait-il donc à tout prix éviter le débat de fond soulevé par les analyses d’« Alerte aux toxiques », à savoir : le label Haute valeur environnementale, dont la viticulture girondine est le principal utilisateur, répond-il à de vrais critères environnementaux et à des changements de pratiques, ou n’est-il qu’une habile opération de marketing qui ressemble furieusement à du « greenwashing » ?
Une condamnation invraisemblable
La Confédération paysanne, Agir pour l’environnement, le Synabio, la fédération France Nature Environnement (qui a pourtant été l’un des initiateurs de ce label) ont déjà répondu à cette question le 2 décembre dernier en dénonçant « l’illusion de transition agroécologique » que constitue cette certification. « Alerte aux toxiques » n’est donc pas seule dans ce combat et a rempli sa mission d’informer en démontrant toutes les équivoques d’un label qui bénéficie pourtant d’un soutien massif des pouvoirs publics.
Ainsi, alors que le plan « écophyto » du gouvernement prévoit de réduire de moitié l’utilisation des pesticides, ledit label ne fixe aucune obligation de résultat concernant les produits phytosanitaires !
Derrière cette invraisemblable condamnation se cache une autre réalité : alors que les ventes de vins de Bordeaux s’écroulent, le HVE est apparu comme une solution pour sortir de l’image d’addiction aux pesticides qui colle à la filière. Pour mémoire, la vigne consomme 20% des pesticides utilisés en France pour 3,7% de la surface cultivée ! Ce label HVE si bienvenu permet aux institutions locales et à l’interprofession viticole de communiquer à bon compte sur la « réorientation » » du vignoble vers des pratiques « vertueuses ». Autrement dit, une façon de développer un discours plus vert, plus écolo…Mais sans changer de pratiques ! On frise l’imposture.
76 millions d’euros de soutiens publics
Comme le souligne l’association Agir pour l’environnement : « Le gouvernement crée volontairement une confusion vis-à-vis des consommateurs. Il s’agit de faire de HVE un concurrent du bio et non une transition vers le bio ». La force de frappe institutionnelle en faveur de HVE est massive : Elle représente un budget de 76 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2021…Alors que les aides au maintien de la bio ont été supprimées au début du quinquennat d’Emmanuel Macron !
Aujourd’hui, toute la grande distribution réclame des produits labellisés HVE. C’est en effet un bon moyen pour elle de montrer au consommateur sa préoccupation environnementale… Sachant que son offre en bio n’est pas suffisante3 ! Toute une filière commerciale s’y retrouve. On est donc fondé à s’interroger sur le sens de HVE qui pourrait bien signifier : Haute Volonté d’Enfumage ? Exactement ce que fut l’invention par la FNSEA du terme « agriculture raisonnée » en son temps.
Le CIVB et ses obligés ne devraient pas trop se réjouir de cette victoire judiciaire car ils ont déjà perdu sur le terrain de l’opinion et des consommateurs. Chaque jour est plus grande l’exigence d’une agriculture respectueuse de l’environnement, des agriculteurs et de la santé de tous. Or, il n’est pas besoin d’habiter près des vignes pour courir des risques sanitaires, comme l’a montré la campagne de mesures des pesticides dans l’air conduite par l’organisme de surveillance « Atmo Nouvelle-Aquitaine », en juillet 2019, « illustrant le transfert aérien des molécules depuis les surfaces agricoles vers les zones urbaines » telle Bordeaux.
L’heure est à la transition pour la santé de tous et toutes
Ce procès et ses suites sont donc notre affaire à tous. Plutôt que d’accuser Alerte aux toxiques d’« escroquerie intellectuelle », de diaboliser Valérie Murat et ceux qui la soutiennent en tentant de la faire taire par des moyens indignes, le CIVB ferait mieux de remettre les pieds sur terre avant qu’il ne soit trop tard. Toute une profession, qu’il défend si mal en campant dans le déni, est en danger.
Face au réchauffement climatique et à la nécessité d’une transition écologique, la viticulture bordelaise devra s’adapter. Le temps du Bordeaux for ever est terminé. L’heure est à la transition. C’est le rôle du CIVB de l’accompagner, comme d’accepter le débat avec ceux qui n’ont pour seul intérêt que la santé des travailleurs viticoles, des riverains des vignobles et de leurs enfants. C’est une question de santé au travail comme de santé publique.
Voilà pourquoi Valérie Murat mérite mieux que cette condamnation aussi aveugle qu’injuste.
Nous la soutenons dans son juste combat !
Premiers signataires :
Noël Mamère – Écologiste
Marie-Lys Bibeyran – Collectif Info Médoc Pesticides
Professeur Rustin – INSERM / pesticides SDHIS
Paule Benit – INSERM / pesticides SDHIS
Dominique Bourg – Professeur honoraire, Université de Lausanne
Laurence Jonard – Pharmacienne et généticienne moléculaire
Pierre-Michel Périnaud, Président de l’Association des Médecins contre les pesticides.
Martin Pigeon – Chercheur et militant à Corporate Europe Observatory (CEO)
Marie Monique Robin – Journaliste, réalisatrice et écrivaine
Fabrice Nicolino – Président du Mouvement des Coquelicots
Franck Dubourdieu, Agronome, Oenologue, Médecin membre de l’Association contre les Pesticides de Synthèse.
Sylvie Dulong – Viticultrice – Présidente déléguée de Bio Nouvelle Aquitaine
Patrick Lespagnol, Président du Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique
Jacques Carroget – Président du Syndicat des Vins naturels
Olivier Paul-Morandini, Domaine Fuori Mondo en Toscane et Fondateur de Transparency for Organic Word Association
Nicolas Laarman, délégué général de Pollinis
Benoît Biteau – Agronome, paysan et député écologiste au Parlement européen
Loïc Prud’homme – Député de la Gironde
Pascal Doquet, Président de l’Association des Champagnes Biologiques
Antoine Deltour – Lanceur d’alerte Luxleaks
Philippe Candelon, co-fondateur et président de alerte.me l’association qui aide les lanceurs d’alerte
Rodolphe Urbs – Dessinateur libraire
Adrien Tréchot – BBD éditions / Dans ma bouteille.com
Geoffrey Livolsi – Co-fondateur de Disclose.ngo
Inès Léraud – Journaliste, documentariste et auteure de « Algues vertes, l’histoire interdite »
Marion Laine – Réalisatrice et scénariste
Jérôme Douzelet – Auteur du livre Le goût des pesticides dans le vin
Guillaume Pire – Vigneron Bio Château de Fosse-Sèche
Guillaume Bodin – Vigneron-Cinéaste
Pierre Gilbert, caviste Bordeaux
Annick Le Mentec – Collectif des victimes des pesticides de l’ouest
Georges Arnaudeau, Président et fondateur de l’association allo amiante
François Veillerette, Porte-parole Générations Futures
Serge Lequéau Union syndicale Solidaires de Bretagne
Sylvie Nony, Alerte Pesticides Haute Gironde
Sandrine Malet – Militante antiraciste et citoyenne écologiste
Le Collectif des Faucheurs Volontaires d’OGM
Sandra Regol – Secrétaire nationale adjointe d’EELV
Jean Noël Jouzel – Sociologue
Giovani Prete – Sociologue
Cyril Dion – Écrivain, auteur-réalisateur, poète, activiste
Des manifestants brandissent des pancartes indiquant « Agriculture intensive = extinction massive » alors qu’ils participent à la « Marche du Siècle » à Bordeaux, le 16 mars 2019. MEHDI FEDOUACH / AFP
« Agribashing. » Rarement un terme aura occupé l’espace public avec une rapidité aussi foudroyante. Soudain omniprésent à partir de la fin de l’été 2019, il a connu une forme de légitimation avec la création de Déméter, la « cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole », en octobre 2019. Présenté par le ministère de l’intérieur comme une réponse à l’agribashing, ce dispositif de renseignement piloté par la gendarmerie comprend l’installation d’« observatoires de l’agribashing » dans les départements.
Selon la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), le secteur agricole serait la cible de ce dénigrement systématique qu’est l’agribashing. Plus de huit Français sur dix, pourtant, assurent avoir une bonne ou une très bonne opinion des agriculteurs, d’après un sondage Odoxa-Dentsu Consulting pour Franceinfo et Le Figaro effectuée en février 2019. Il s’agit donc d’autre chose. Non pas d’une critique de l’agriculture dans son ensemble, mais d’une certaine façon de la pratiquer.
« A-t-on envie de broyer des poussins ? »
Ce sont « le mode de production agricole conventionnel et ses différentes caractéristiques » qui sont aujourd’hui remis en question, écrit Eddy Fougier, politologue et consultant, dans un rapport sur le sujet, réalisé pour le compte de la FNSEA Grand Bassin parisien en septembre 2018. Soit :« Le recours aux produits phytosanitaires et aux biotechnologies, l’élevage intensif, les grandes exploitations, une agriculture tournée vers l’exportation, etc. », précise M. Fougier.
De fait, la convention signée par le ministère de l’intérieur avec la FNSEA et les Jeunes agriculteurs (JA) dans le cadre de la cellule Déméter, et publiée par Le Monde, exclut la Confédération paysanne, opposée au modèle agro-industriel qu’incarne selon elle la FNSEA. Invitée aux réunions de mise en place des « observatoires de l’agribashing » (vingt-deux à ce jour) organisées par les préfectures, la Confédération paysanne a parfois abandonné les lieux avec fracas. Comme le 30 janvier, par exemple.
Porte-parole de l’organisation dans le Morbihan, Morgan Ody a quitté la réunion de la préfecture de Vannes, pour protester, dit-elle, contre cette « volonté de criminalisation des actions et du débat autour d’une certaine forme d’agriculture ». « A-t-on envie de broyer des poussins ? On a le droit de poser la question ; il n’y a pas de délit d’opinion à avoir un débat de société sur le sujet », explique-t-elle.
L’agribashing s’est imposé comme un « point Godwin » de la critique du système agricole intensif – ce moment d’une discussion où un mot jeté au visage de son interlocuteur disqualifie toute son argumentation d’un coup d’un seul. Cette efficacité redoutable fait soupçonner la main invisible de professionnels de la propagande. Ce n’est pourtant pas le cas… ou alors peut-être seulement au début.
« Accélération de la réponse politique »
La première mention de l’agribashing sur Twitter date du 10 mars 2016, sur le fil de Gil Rivière-Wekstein. L’homme, qui se présente comme « rédacteur d’Agriculture et environnement », anime un site Internet destiné au secteur et possède une microsociété de conseil, Amos Prospective, qui a affiché des chiffres d’affaires supérieurs à 250 000 euros ces dernières années. « Je ne pense pas qu’il y a de l’“agriculture bashing”, en fait », expose-t-il dans une vidéo enregistrée au Salon de l’agriculture, théorisant l’usage du concept tel qu’il sera employé par la suite. « En revanche, ce qu’il y a, c’est un “bashing”, une mise en cause systématique et constante de certains outils dont dispose l’agriculture. » Une mise en cause « mensongère avec une volonté de nuire au système le plus vertueux de la planète », tient à préciser M. Rivière-Wekstein, assurant qu’il ne s’agissait pas là du « fruit de l’élaboration d’une commande ».
Intrigué par le phénomène, le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD)-Terre solidaire a commandité un rapport au cabinet Saper, spécialisé dans l’analyse des tendances sur les réseaux sociaux. Rapport dont il a partagé les résultats préliminaires avec Le Monde. Selon lui, l’agribashing s’est imposé en trois temps. Après les limbes de 2016, donc, il végète dans quelqueshashtags en 2017, moment où « une communauté de comptes de l’écosystème Twitter agricole se structure et se développe autour de la notion ». Dans un deuxième temps, à partir de mai 2018, il sort des frontières agricoles pour trouver un écho auprès de personnalités médiatiques et politiques autour des discussions sur la loi agriculture et alimentation, dite « Egalim ». « C’est à ce moment qu’il se restreint aux questions des produits phytosanitaires et du bien-être animal », explique Maureen Jorand, responsable de plaidoyer pour le CCFD-Terre solidaire.
Si la FNSEA emploie l’agribashing lors de la campagne des élections aux chambres d’agriculture en janvier 2019, l’explosion ne survient qu’à la fin de l’été. A l’appel du syndicat, de nombreuses manifestations d’agriculteurs contre les « zones de non-traitement » aux pesticides et l’« agribashing » ont lieu en France. Les médias reprennent, le hashtag « agribashing » se mue en une tendance, le débat devient sociétal et, en octobre, le dispositif Déméter est créé. Une inhabituelle « accélération de la réponse politique alors qu’il ne se passe rien sur d’autres sujets importants pour le monde agricole, comme les revenus des agriculteurs ou le soutien à la transition écologique », remarque Mme Jorand.
Levier d’influence commode, l’agribashing a cependant l’inconvénient de ne faire parler d’agriculture que de manière négative. Ainsi, la FNSEA n’en use plus qu’avec modération, et son pendant positif, l’« agriloving », monte en force sur Twitter. Mais ce concept porte, lui, la patte de professionnels de la communication : il a été conçu par Bioline, une filiale d’InVivo, le premier groupe coopératif agricole français.
Les personnes malades des pesticides ont peu de place dans les débats concernant ces produits. Reporterre leur donne la parole : ils racontent leurs peines, leurs souffrances, leurs combats, dans des témoignages poignants. Une marche contre les pesticides est prévue ce mercredi 15 novembre.
Rennes (Ille-et-Vilaine), correspondance
La bataille fait rage au sein de l’Union européenne pour décider s’il faut ou non interdire l’utilisation du glyphosate, l’interdire maintenant ou dans plusieurs années. Le glyphosate est la substance active d’une grande partie des pesticides, en particulier celui vendu par Monsanto, le Roundup. Alors qu’une marche blanche contre les pesticides est prévue à Paris ce 15 novembre, le collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest et Solidaires Bretagne lancent un appel aux pouvoirs publics pour un arrêt total et immédiat du glyphosate. Un appel signé par plus d’une trentaine de victimes des pesticides. Reporterre en a rencontré quelques-unes, qui témoignent.
Christophe Jouault : « J’ai utilisé tous les produits »
Christophe Jouault a 62 ans. Paysan à la retraite, il souffre d’un cancer. Il vit à Nouvoitou (Ille-et-Vilaine).
J’étais agriculteur de 1979 à 2016. J’ai commencé à utiliser des pesticides quand j’avais 15 ans, dans la ferme de mes parents. J’ai vu arriver la culture du maïs, la plante miraculeuse de l’époque, et comme tout le monde j’ai traité, torse nu. J’ai utilisé tous les produits qu’il y avait sur le marché. À l’époque, on ne savait pas. Je suis passé en bio en 1990. En avril 2015, on m’a diagnostiqué un cancer mais il n’est pas reconnu par la MSA [mutualité sociale agricole, la sécurité sociale des agriculteurs] comme maladie professionnelle. Mon épouse, elle aussi, elle a eu un cancer. Elle est maintenant décédée. Je suis sûr que c’est à cause des pesticides. »
Nicolas Trinité : « J’ai failli y passer »
Nicolas Trinité a 45 ans. Ancien salarié d’une coopérative, il a été atteint d’un lymphome. Il vit au Rheu (Ille-et-Vilaine).
On m’a diagnostiqué un lymphome cérébral, il y a une dizaine d’années de cela. J’avais 38 ans à l’époque. J’ai travaillé dans les semences de maïs expérimentales pendant trois ans, on comptait les semences sans grande protection. Elles étaient enrobées de produits multiples, contre les vers par exemple.
J’ai fait sept chimiothérapies. Aujourd’hui, je suis déclaré guéri. Il faut arrêter d’utiliser ces produits-là, ils sont dangereux. J’ai quand même failli y passer. »
Francis Sourdril : « Sur 75 produits utilisés, 65 sont aujourd’hui interdits »
Francis Sourdril et Rose Rayssiguier, sa compagne. Francis a 62 ans. Ancien jardinier-paysagiste, il est atteint de la maladie de Parkinson. Il vit à Laval (Mayenne).
J’ai travaillé en collectivités territoriales pendant 43 ans en tant que jardinier-paysagiste. J’ai utilisé beaucoup de Roundup, on s’en servait quasiment en libre-service. On se servait de pulvérisateurs moteurs ou à main et quand une buse était bouchée, on la débouchait en soufflant dedans. J’ai la maladie de Parkinson. Ça a été reconnu comme maladie professionnelle cet été après deux ans de démarches. Dans ce cadre-là, j’ai retrouvé 75 produits que j’ai utilisés dans ma carrière. Parmi ces 75 produits, il y en a 67 qui sont interdits aujourd’hui. »
Rose Rayssiguier : « Les pesticides nous tuent à petit feu »
Je voudrais dire à quel point c’est difficile au quotidien de savoir que la personne que l’on aime est malade d’une maladie évolutive. Il est essentiel que l’on soit solidaires et conscients de l’importance d’interdire ces produits, et de dire, nous, les victimes et parents de victimes, que nous nous battons pour nous, nos enfants et petits-enfants. Nous savons que nous pouvons vivre sans ces produits et nous en connaissons les enjeux. J’en veux à Monsanto, à nos responsables politiques et à ceux qui les suivent. Les pesticides nous tuent à petit feu. Écoutez-nous. Nous, nous savons les dégâts des pesticides. »
Ange Evanno : « Quand je n’ai plus mal, le sourire revient »
Ange Evanno a 61 ans. Ancien paysan, il est atteint de la maladie de Parkinson. Il vit à Languidic (Morbihan).
J’ai utilisé les produits à partir de mes 17 ans, avec mon père pour détruire certaines herbes. On s’en mettait plein la figure. J’ai la maladie de Parkinson à cause des produits depuis 2010. Aujourd’hui, je me bats contre la MSA pour élever mon taux d’incapacité et c’est pas une mince affaire, il faut se battre.
Mon beau-frère est médecin. À un repas de famille, il me trouvait bizarre avec mes rhumatismes, mes tremblements et ma tendance à m’isoler des gens. Il m’a envoyé voir un spécialiste. C’est comme ça qu’on a su que j’étais malade. J’ai mal au dos presque tous les jours. Quand je n’ai plus mal, le sourire revient. L’an dernier, j’étais encore avec mes vaches, j’allais faire la traite avec mes deux béquilles. »
Jean-Claude Chevrel : « Après huit ans de combat, j’ai obtenu la reconnaissance en maladie professionnelle »
Jean-Claude Chevrel a 67 ans. Ancien salarié de coopérative agricole, il est atteint de la maladie de Parkinson. Il vit à Amanlis (Ille-et-Vilaine).
Je suis atteint de la maladie de Parkinson depuis dix ans. J’ai été 27 ans technicien en coopérative agricole. Ma maladie a été reconnue comme maladie professionnelle l’an dernier après huit ans de combat. Avant, il y avait eu deux refus. J’ai expérimenté des herbicides, des fongicides, des insecticides avant leur mise en vente. C’était pour voir l’efficacité des produits. Ces pesticides sont nocifs pour nous, pour l’environnement. Autrefois, on faisait sans Roundup. C’est possible de s’en passer, j’en suis persuadé, surtout quand je vois le mal qu’ils font, qu’ils m’ont fait. »
Dany Chevrel : « J’ai la rage contre l’agrochimie »
Dany Chevrel est l’épouse de Jean-Claude Chevrel, atteint de la maladie de Parkinson.
Je souhaite l’arrêt immédiat de tous les produits chimiques. Ça ne peut plus durer. Notre vie est très affectée par la maladie de Jean-Claude, ça fait dix ans et ça ne va pas s’arranger puisque c’est une maladie dégénérative. Notre quotidien est très perturbé, c’est extrêmement difficile à gérer. C’est 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an. J’ai la rage contre cette agrochimie, contre ces entreprises. »
Édith Le Goffic : « J’irai jusqu’au bout, peu importe les années que ça prendra »
Édith Le Goffic est l’épouse de Gwénaël, mort à 41 ans sur son lieu de travail. Elle vit à Plounerin (Côtes-d’Armor).
Gwénaël s’est suicidé le 21 mars 2014 à l’entreprise. Il était chauffeur-livreur. En 2012, il avait été obligé de s’arrêter pendant plusieurs mois et a repris son travail en 2013. Mais, en janvier 2014, il a eu un accident du travail en livrant des aliments médicamenteux pour les élevages. Il m’a dit ce jour-là avoir été intoxiqué. Le 21 mars, il s’est suicidé à l’entreprise.
Aujourd’hui, son suicide a été reconnu comme accident du travail et maintenant je me bats pour que la faute inexcusable de l’employeur soit reconnue. Je le fais pour mes enfants, pour lui. J’irais jusqu’au bout, peu importe les années que ça me prendra. »
Armel Richomme : « Il faut prendre ses précautions »
Armel Richomme a 62 ans. Paysan, atteint d’un lymphome, il vit à Bourgbarré (Ille-et-Vilaine).
Je suis agriculteur et j’ai été en conventionnel pendant 18 années. J’ai utilisé des pesticides, à l’époque, avec un tracteur sans cabine, donc sans protection. J’ai eu un lymphome grave, un cancer de la moelle osseuse. En mai 2013, j’ai subi une ablation de la rate. Aujourd’hui, mes défenses immunitaires sont presque à la normale. Je veux témoigner pour que les utilisateurs prennent leurs précautions. »
Le 2 février 2016 a marqué une rupture dans le monde du vin bordelais. Ce soir-là, sur France 2, l’enquête de Cash Investigation « Pesticides, nos enfants en danger » se penche sur la Gironde, département où l’usage de pesticides atteint des sommets. Alors qu’enflent les polémiques, autour du glyphosate notamment, les pouvoirs publics et la filière tentent de réagir. L’objectif affiché : une désintoxication. Mais pendant que le Bordelais cherche sa voie, la santé des travailleurs viticoles suscite l’inquiétude. Entre délicates reconnaissances de maladies professionnelles, déficit de connaissances scientifiques et tractations politiques, leur avenir s’écrit en pointillés.
Les mains dans les poches de son costume gris, Stéphane Le Foll se promène. À côté du ministre de l’Agriculture, Elise Lucet, qui l’a invité en ce 2 février 2016 sur le plateau de Cash Investigation. La journaliste le conduit en différents points de l’Hexagone, sur une carte de France projetée au sol. La Gironde est représentée en noir, un code couleur un brin prémonitoire qui traduit les achats annuels de produits phytosanitaires par département entre 2011 et 2015. Avec une moyenne de 2 700 tonnes par an, la Gironde est un (très) bon client.
Le reportage de France 2, suivi ce soir-là par 3,12 millions de personnes fait l’effet d’un coup de massue dans la région bordelaise. Une prise de conscience s’opère sur ces terres viticoles. Les équipes d’Élise Lucet font en effet un constat alarmant : après avoir envoyé des mèches de cheveux d’enfants vivant au milieu des vignes, ils relèvent en moyenne 44 pesticides différents présents dans leur organisme. Parmi ceux-ci, 24 interdits mais encore présents dans l’environnement, et d’autres considérés comme dangereux. Autre sirène : depuis 1980, les cancers infantiles augmentent chaque année de 1%, tandis qu’en Gironde, la chance de développer une leucémie est 20% plus importante pour les enfants.
Quelques mois après la diffusion, en juillet 2016, la Région, la Chambre d’agriculture et le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB) signent une convention« pour une viticulture durable et une réduction de l’usage des produits phytosanitaires ». Bernard Farges, président du CIVB de l’époque, déclare à ce moment-là, que « les vins de Bordeaux ont pour objectif la diminution forte voire la sortie de l’usage des pesticides. »
120 000 hectares de vignes, c’est autant que pour l’Australie !
Bien qu’ils reconnaissent une dépendance trop importante aux pesticides, certains souhaitent nuancer les 2 700 tonnes qui font virer la Gironde au noir sous les chaussures de Stéphane Le Foll. C’est le cas de Bernard Artigue, viticulteur : « On est un département avec 120 000 hectares de vignes[111 000 en réalité, NDLR], c’est autant que pour l’Australie ! » Ajoutez à cela un climat océanique – propice au développement du mildiou et de l’oïdium, les deux grandes maladies de la vigne – , et vous comprenez mieux les chiffres, explique celui qui préside par ailleurs la chambre d’agriculture de Gironde.
Utiles, ces précisions ne rendent pas moins critique le diagnostic. Après avoir découvert l’enquête de « Cash », un dénommé Philippe (c’est son nom d’emprunt) livre un constat très personnel, fruit de ses observations. Sur le site d’info local Rue89 Bordeaux, il rédige une tribune titrée « Viticulteur, je contamine mes voisins, mes ouvriers et moi ». Ce jour-là, cet agriculteur établi dans l’Entre-deux-Mers livre un précieux témoignage. Il certifie non seulement les éléments avancés par Cash Investigation, mais pointe surtout un problème majeur : le fait que les agriculteurs se trouvent aujourd’hui dans une impasse, pris dans un modèle de production dont il est difficile de s’extraire. Sortir du système actuel, il le souhaiterait, encore faut-il pouvoir se le permettre : « Pour que je puisse faire du bio, il me faudrait 400 000 euros en banque, en protection, en placement, pour assurer mes arrières », avance-t-il. Irréalisable pour l’exploitant.
Les mots de Philippe s’inscrivent dans un mouvement naissant, celui d’une bataille contre les pesticides, pour préserver l’environnement, mais aussi et surtout la santé. En Gironde, le sort des riverains des vignes et des consommateurs est peu à peu devenu un objet de lutte. Une mobilisation initiée en grande partie par une poignée d’activistes, inquiets pour la santé des travailleurs agricoles, et via lesquels le sujet des pesticides est devenu public. Cette médiatisation croissante ? On la doit pour beaucoup à l’action d’une femme déterminée : Marie-Lys Bibeyran.
On n’échappe pas à la vigne
Marie-Lys Bibeyran est une enfant de la vigne. Dans le Médoc, des grappes de raisin pendent aux branches des arbres généalogiques. « Mon père travaillait sur le domaine où avait travaillé son père. Aujourd’hui, un des mes frères y travaille à son tour. » Elle aussi gagne sa vie dans les rangs de vigne.
La vigne, c’est comme si on ne pouvait pas y échapper
La Médocaine a bien fait des études de droit à Bordeaux, mais comme elle le dit souvent , « la vigne, c’est comme si on ne pouvait pas y échapper ». Son frère, Denis Bibeyran travaillait ici lui aussi, à Listrac-Médoc. En 2009, à 47 ans, l’ouvrier agricole y a laissé la vie, terrassé en quelques mois par un cancer des voies biliaires, rarissime.
Depuis 2011, Marie-Lys Bibeyran essaie de faire reconnaître auprès de la justice que c’est son métier qui a tué son frère. Pendant plus de trois décennies, juché sur son tracteur, l’ouvrier a sillonné les vignobles, pulvérisant herbicides, insecticides, fongicides, et d’autres produits en « -cide », ceux-là même qui nécessitent de se protéger avec une tenue semblable à celle d’un cosmonaute. Quelques mois avant de mourir, le quadragénaire demandait à son médecin si son exposition aux produits phytosanitaires pouvait être responsable de sa maladie. Réponse : « On le saura dans vingt ans. »
Convaincue de la responsabilité des pesticides dans la mort de son frère, Marie-Lys Bibeyran s’est lancée dans une longue bataille pour obtenir la reconnaissance de maladie professionnelle post mortem. Dans le salon de son appartement, niché au premier et seul étage d’une petite maison de Listrac, elle retrace les étapes de son engagement. Sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle refusée par la Mutualité sociale agricole (MSA), elle a engagé deux procédures devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, déboutées l’une et l’autre. Dernier rebondissement en date, un non-lieu devant la Cour d’appel de Bordeaux le 21 septembre dernier. La raison : « les consorts Bibeyran ne rapportent pas la preuve d’éléments établissant la réalité d’un lien de causalité entre l’exposition aux pesticides et le cholangiocarcinome dont est décédé Denis Bibeyran. »
Dans cette affaire, « la difficulté réside dans le fait que cette maladie ne figure pas dans les tableaux [de maladies professionnelles] », explique François Lafforgue, son avocat. Dans ce cas, c’est aux victimes d’apporter les preuves du lien entre les pesticides et leur maladie. Pour la famille de Denis Bibeyran, il a été impossible d’obtenir de ses employeurs la liste des produits utilisés avant 2000 par l’ouvrier agricole. « Quand il s’agit de maladies rares, on nous demande de produire des publications scientifiques devant les tribunaux », soupire l’avocat, qui avait réussi en 2015 à faire condamner Monsanto en défendant l’agriculteur charentais Paul François. Une mission quasi impossible, regrette-t-il : « il n’y a pas assez d’études, ou s’il y en a, elles ne sont pas nécessairement prises en compte. »
Un mouvement de contestation
Le 8 octobre dernier, à Listrac-Médoc, petit village cerné par les vignes où cohabitent grands châteaux et modestes petites maisons, environ 150 personnes se sont réunies pour manifester contre les pesticides. « Une première dans le Médoc », jure Marie-Lys Bibeyran. Neuf associations et syndicats ont répondu à son appel, afin de s’opposer aux récentes décisions de justice : celle concernant son frère, mais aussi le non-lieu de l’affaire de l’école de Villeneuve-de-Blaye.
Forcément déçue par l’issue des jugements successifs, la tenace Listracaise n’a pas voulu en rester là. Devant les portes closes de la cave coopérative de Listrac-Médoc, symbole du monde auquel elle s’oppose, elle annonce qu’elle va se pourvoir en cassation. À ses côtés, les femmes et les hommes qui l’accompagnent dans ce nouveau mouvement de contestation. Le combat continue.
Lors du rassemblement, Valérie Murat se tient au côté de sa « camarade Marie-Lys » en tête de cortège. Au micro, c’est souvent elle qu’on entend crier « Non à l’omerta ! ». Le bras levé, cette grande brune brandit le poing en l’air, en signe de lutte contre un monde du vin bordelais « qui refuse d’avouer que son modèle repose sur l’industrie agrochimique ». Marie-Lys Bibeyran se bat au nom du frère, Valérie Murat au nom du père.
James-Bernard Murat a été viticulteur pendant 42 ans à Pujols, dans le libournais. À la retraite depuis 2002, il apprend en avril 2010 qu’il souffre d’un cancer broncho-pulmonaire. Dans le monde des maladies professionnelles, lui a de la chance, dirait-on si ce n’était pas si tragique. Sa maladie apparaît bien au tableau de la MSA. Dans la foulée, un médecin d’un service professionnel du CHU de Bordeaux établit le lien entre la maladie de James-Bernard Murat et les dizaines d’années qu’il a passées à utiliser de l’arsénite de sodium. « Il aura quand même fallu deux ans pour que le dossier aboutisse », déplore sa fille.
Pour elle, la reconnaissance de maladie professionnelle de son père et l’indemnisation qui l’accompagne ne suffisent pas. Sur son fin visage, encadré des créoles argentées qui ne quittent jamais ses oreilles, les marques d’une détermination sans faille se dessinent. Dans sa ligne de mire : l’industrie agro-chimique et le groupe Bayer en premier lieu. Elle vise également les services de l’État, qui ont autorisé jusqu’en 2001 l’utilisation dans la viticulture de l’arsénite de sodium, pourtant interdit en 1973 pour le reste de l’agriculture. « Ça voulait dire que c’était dangereux pour les agriculteurs, mais pas les viticulteurs ? », grince-t-elle.
À l’heure actuelle, cette lanceuse d’alerte est engagée dans deux procédures. La première au civil, auprès de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI), l’autre au pénal, auprès du tribunal de grande instance de Paris. Pour cette dernière, un juge d’instruction a été désigné pour enquêter. Une première dans ce genre d’affaire. « Je veux voir ces gens en face de moi, qu’ils me disent ce qui s’est exactement passé et leur poser toutes les questions auxquelles je n’ai pas eu de réponse. »Parmi celles-ci, bien-sûr les raisons de la dérogation dont a bénéficié l’arsénite de sodium, mais aussi des manquements dans l’étiquetagedes produits phytosanitaires utilisés. Mais là encore, la partie est loin d’être gagnée, avertit François Lafforgue, qui est aussi son avocat.
Étant donné le nombre très élevé de substances chimiques et de fabricants, il est très délicat d’établir avec précision des responsabilités dans les maladies des travailleurs agricoles, qu’elles soient ou non au tableau des maladies professionnelles : « À la CIVI, qui est une juridiction particulière, on retrouve la même problématique du lien de causalité certain qu’on retrouve en matière pénale. »
Aujourd’hui, les batailles de Valérie Murat et Marie-Lys Bibeyran se sont étendues bien au-delà du jardin familial. En Gironde, les deux femmes sont de toutes les luttes contre les pesticides. Pourfendeuses d’une agriculture qui a du mal à assumer ses ravages, notamment sur les femmes et les hommes qui la font vivre. Elles doivent essuyer chaque jour les obstacles judiciaires, affronter les oppositions politiques du milieu et la pression sociale. Marie-Lys Bibeyran se souvient très bien de cette phrase qui avait été prononcée à Listrac, quand elle a commencé à briser le silence : « Il faut qu’elle fasse attention Marie-Lys. Un coup de fusil, c’est vite parti. »
Mais petit à petit, les choses changent doucement, Maxime Julliot en témoigne. Ce viticulteur de 40 ans, l’oeil cristallin, cheveux et barbe poivre et sel, incarne malgré lui un changement évident encore balbutiant. Depuis 2015, le château Jander, dont il est le chef de vigne, est le premier et seul domaine bio de Listrac-Médoc. Originaire de la région parisienne, il n’est pas un homme du cru. La viticulture bio, il l’a apprise de ses voyages en Argentine, en Californie ou en Italie. En 2012, le propriétaire du Château Jander, situé à l’entrée de Listrac, lui confie la conversion au bio. Loin d’être une évidence sur un territoire où depuis des lustres, le monde du vin se conforme aux traditions.
Quand on s’est mis au bio, on est un peu passé pour des illuminés
Dans le Médoc, de génération en génération, l’ordre social se dessine sur du papier calque. Ici, dans beaucoup d’endroits, les propriétaires sont fils de propriétaires et les ouvriers fils d’ouvriers. L’agriculture à la chimie héritée de l’après-guerre, c’est un modèle qui ne se discutait pas. Alors, dire que le travail à la vigne ça empoisonne et qu’il faut tout changer dans sa façon de travailler, forcément, ça fait du foin. « Quand on s’est mis au bio, on est un peu passé pour des illuminés, affirme Maxime Julliot. Maintenant, on est pris au sérieux par les institutions. »
Le 12 octobre, Bernard Farges et Allan Sichel, respectivement ex et actuel présidents du CIVB ont annoncé la mise en place d’un « plan d’évitement des CMR » (produits cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques) en mettant à disposition des viticulteurs une liste de 70 produits à éviter. Cette annonce, Marie-Lys Bibeyran la définit comme « une vaste fumisterie. Ils sont très forts en communication. Vous vous rendez compte, on est en 2017, et moi je me bats depuis 2011. Depuis toutes ces années, le CIVB commence à peine à parler d’évitement de produits CMR. »
Valérie Murat, elle aussi, a du mal à faire confiance aux décideurs qui, il y a peu encore, la qualifiaient elle et sa camarade, de « khmers vertes ou ayatollahs du bio ». Selon cette impertinente militante, il s’agit surtout de « déclarations », ou au mieux d’objectifs et d’outils qui ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Elle se souvient également qu’en février 2017 Bernard Farges, prenant acte de l’inefficacité des équipements de protection des travailleurs des vignes, avait déclaré que l’État devait alors retirer du marché les produits dangereux. De quoi faire sourire la militante bordelaise, qui regrette un manque de courage de la filière. On « passe la patate chaude à l’État », raille-t-elle.
Le changement des consciences sur lequel parient les institutions du vin bordelais sera-t-il suffisant ? Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. Symbole du chemin encore à parcourir : à peine plus de 6% du vignoble bordelais est aujourd’hui en agriculture biologique.
Sur le plan sanitaire, des médecins sonnent aussi l’alerte. Joseph Mazé, membre de l’association Alerte Médecins Pesticides souhaite que les généralistes, « pas du tout formés aux causes environnementales » des maladies, aient le réflexe d’entamer des démarches en vue de reconnaissances de maladies professionnelles pour des patients agriculteurs, afin d’ouvrir les tableaux de la MSA. Pour illustrer son propos, il cite une scène du documentaire « La mort est dans le pré ». Un agriculteur a rendez-vous chez son médecin pour un diagnostic. Le docteur lui annonce : « Pas de chance, vous avez le cancer des viticulteurs », soit un cancer de la prostate. Le hic ? Il s’agit d’une maladie qui ne figure pas aux tableaux de la MSA.
Lors de la manifestation de Listrac, sur des panneaux, on pouvait lire « La reconnaissance de maladie professionnelle est un droit, pas une faveur », le credo de Marie-Lys Bibeyran. Joseph Mazé regrette que le régime de sécurité sociale des travailleurs agricoles ne fasse « pas son travail de protection ». Il pointe du doigt le fonctionnement de l’organisme et le poids de « la FNSEA [la Fédération nationale des exploitants agricoles, NDLR], qui a une influence très forte et qui siège au conseil d’administration de la MSA. » En 2013, le tout-puissant syndicat agricole s’était opposé à la création d’un tableau de maladies professionnelles faisant le lien entre hémopathies (maladies du sang) et pesticides, estimant que c’était aux firmes agrochimiques et à l’État de supporter les coûts des indemnisations, et non pas aux cotisants du régime agricole.
Dans les grands vignobles, les salariés se sentent tellement redevables…
Alors que l’avenir du glyphosate, herbicide le plus vendu au monde, se trouve aujourd’hui entre les mains de l’Union européenne, Marie-Lys Bibeyran tente d’utiliser ces débats pour faire avancer sa cause. Très médiatisée, elle cherche à briser des tabous : « Dans les grands vignobles, les salariés vivent sur les propriétés des employeurs depuis des générations. Ces gens-là se sentent tellement redevables… »
Chez les ouvriers agricoles, c’est un fatalisme pragmatique qui découle de cette subordination. Pascal Puigcever l’exprime bien : à la sortie de Listrac, dans la maison au coeur des vignes où il réside avec sa femme et ses deux enfants, ce salarié agricole revient sur son parcours. Après 16 ans de bons et loyaux services sur un domaine appartenant aux Rothschild, il a la chance d’être payé 1 500 euros par mois, contrairement aux autres ouvriers qui sont au Smic. « C’est sûr, on le sait que c’est mauvais pour la santé », confie-t-il. « Moi, quand je passais sur le tracteur, je la sentais l’odeur des produits… Là, tu te dis que c’est pas bon… Mais bon, y’a pas le choix, sinon on bosse pas et tout le monde est au chômdu. » Mais Pascal estime qu’il « a de la chance ». Avec une hernie discale et deux disques tassés, il est « bien content de plus être aux machines », et donc de ne plus traiter. « Maintenant, je laisse ça aux jeunes ! »
Dans mon Béarn natal, j’ai grandi sur les pentes montagneuses, en marchant l’été et en glissant l’hiver. Des sommets, la hauteur de vue rend l’horizon clair et trouve l’ordre du territoire, difficile à saisir du fond des vallées. Dans un monde foisonnant d’informations, où la confusion n’est jamais bien loin, j’essaye de prendre de la hauteur en écrivant des articles, pour comprendre et aider à faire comprendre.
La Fabrique de l’info
Lorsque j’ai réalisé cette enquête, les deux femmes en première ligne contre les pesticides m’ont dit : « Je n’ai rien contre le monde du vin, je l’adore même. » Cette justification traduit comme une volonté de montrer patte blanche, d’esquiver les critiques trop faciles qu’elles pourraient subir. Le combat qui est mené en Gironde dans la viticulture est l’illustration d’un problème bien plus large, qui touche l’agriculture dans son ensemble. Une agriculture qui est aujourd’hui dans une impasse, que ce soit par les conditions de travail de ses acteurs ou par ses conséquences sanitaires et environnementales.
Le cœur du problème ne concerne pas uniquement le vin de Bordeaux et il ne s’agit pas de montrer que c’est bien pire ici qu’ailleurs. Certes, j’ai découvert pendant mon travail un monde dont les arcanes et le fonctionnement, basés sur la tradition, sont très complexes à saisir. Un monde qui s’est construit pendant des dizaines d’années sur des logiques commerciales en ignorant les conditions de travail de ses petites mains et les conséquences de ces pratiques, et dont l’inertie est un obstacle à un changement profond. Aujourd’hui, avec la science, on ne peut plus faire semblant d’ignorer que nous sommes dans une situation d’urgence environnementale et sanitaire. Je pense avoir désormais plus de questions que de réponses, mais j’ai la certitude que la situation dans laquelle se trouve notre modèle de production agricole, et de production dans son ensemble, appelle des réponses urgentes et peut-être radicales.
Après le glyphosate, le dicamba fait des ravages aux États-Unis.
Publié le 07/09/2017 – 09:06
Lyle Hadden, un cultivateur américain, inspecte un de ses champs de soja affecté par le désherbant dicamba. Andrea Morales pour The Washington Post
Le dicamba, un herbicide produit par Monsanto et BASF, a tendance à s’envoler au-delà des champs sur lesquels il est pulvérisé, tuant tout sur son passage. L’utilisation de ce produit, censé lutter contre des mauvaises herbes de plus en plus résistantes aux produits chimiques, semble avoir été autorisée trop rapidement.
[Article initialement publié le 7 septembre 2017]
De Blytheville, Arkansas –Clay Mayes freine brusquement, saute de son Chevy Silverado sans éteindre le moteur et se met à vociférer contre un cornouiller. Les feuilles recroquevillées de l’arbuste pendouillent, comme de minuscules parapluies cassés. C’est le symptôme typique d’une exposition accidentelle à un herbicide controversé : le dicamba. “Ça me rend dingue ! crie le chef de culture en gesticulant. Si ça continue comme ça…”
“… tout crèvera”, termine son passager, Brian Smith. Les dégâts causés par le dicamba dans le nord-est de l’Arkansas et dans tout le Midwest (affectant le soja, d’autres cultures, et même les arbres) sont emblématiques d’une crise qui ne cesse de s’aggraver dans l’agriculture américaine. Les paysans sont prisonniers d’une course aux armements entre des herbicides de plus en plus puissants et des mauvaises herbes de plus en plus résistantes.
Le dicamba, dont l’utilisation d’une nouvelle formule a été officiellement approuvée au printemps, était censé rompre ce cycle et éradiquer les adventices dans les champs de coton et de soja. Cet herbicide, associé avec des graines de soja génétiquement modifiées pour lui résister, promettait une meilleur maîtrise des plantes indésirables, comme l’amarante de Palmer, qui a développé une résistance aux herbicides communs [notamment au glyphosate].
Une homologation précipitée
Le problème, disent les agriculteurs et les chercheurs, est que le dicamba est emporté par le vent au-delà des champs sur lesquels il était pulvérisé, endommageant des millions d’hectares de soja et d’autres végétaux non protégés. Selon eux, l’herbicide a été approuvé par des fonctionnaires fédéraux qui ont statué en l’absence de données suffisantes, notamment sur la possibilité qu’il dépasse sa cible.
Ces responsables, de même que les fabricants du produit, Monsanto et BASF, rejettent cette accusation et affirment que tout a été fait selon les règles édictées par le Congrès. La colère contre le dicamba a entraîné des actions en justice, l’ouverture d’enquêtes au niveau fédéral et des États et une dispute qui s’est terminée par un coup de fusil, la mort d’un agriculteur et des poursuites pour meurtre.
Une feuille d’un plant de soja affecté par le dicamba. Andrea Morales pour le Washington Post
“Ce devrait être un coup de semonce”, déclare David Mortensen, spécialiste des adventices à l’université d’État de Pennsylvanie. D’après les estimations, ces plantes résistantes aux herbicides coûteraient à l’agriculture américaine plusieurs millions de dollars par an en récoltes perdues.
Selon Monsanto, depuis que l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) a autorisé l’utilisation, au printemps dernier et cet été, de la nouvelle version du dicamba, les agriculteurs ont semé du soja résistant à ce pesticide sur plus de 10 millions d’hectares. Mais plus les pulvérisations augmentaient, plus les exemples de “volatilisation” se multipliaient. Le produit dérive vers d’autres champs, endommageant les végétaux incapables de le supporter – arbres, soja [non génétiquement modifié], légumes et fruits à proximité – ainsi que des plantes qui servent d’habitat aux abeilles et autres pollinisateurs.
Selon une étude datant de 2004, même à très petites doses, le dicamba est 75 à 400 fois plus dangereux pour les plantes qu’il touche accidentellement que le glyphosate. Il est particulièrement toxique pour le soja qui n’a pas été génétiquement modifié pour lui résister.
Kevin Bradley, chercheur à l’université du Missouri, estime que plus de 1,5 million d’hectares de cultures ont été endommagés par le dicamba – notamment dans de grands États agricoles tels que l’Iowa, l’Illinois et le Minnesota –, ce qui représente presque 4 % de la surface cultivée en soja aux États-Unis.
Et d’après les chercheurs, ce chiffre est probablement en deçà de la réalité. “Il est très difficile d’évaluer l’étendue des dégâts, précise Bob Hartzler, professeur d’agronomie à l’université d’État de l’Iowa, mais je suis parvenu à la conclusion que le dicamba est impossible à contrôler.” Cette crise intervient alors que le cours du soja est plus bas que prévu et que le revenu de l’activité agricole baisse depuis quatorze trimestres. La pression sur les cultivateurs est donc énorme.
Des dégâts qui se chiffrent en millions de dollars
Wally Smith ne sait pas combien de temps il pourra tenir. Son exploitation emploie cinq personnes, dont son fils, Hughes, son neveu, Brian, et le chef de culture, Clay Mayes. Aucun d’entre eux ne voit quel autre travail il pourrait faire dans ce coin du comté.
Le dicamba a fait des ravages dans la région de Blytheville. Sur plusieurs kilomètres à la ronde, de la route jusqu’aux arbres qui se dressent à l’horizon, on ne voit que des plants de soja rabougris, aux feuilles enroulées sur elles-mêmes. Une ferme bio a dû suspendre ses ventes cet été après avoir découvert que ses produits étaient contaminés.
Dans l’exploitation de Wally Smith, plusieurs hectares de soja présentent un retard de croissance à cause de l’herbicide, ce qui signifie qu’il perdra de l’argent, après avoir investi 2 millions de dollars :
Voilà la réalité.Si le rendement s’effondre, nous n’aurons plus qu’à mettre la clé sous la porte.”
La nouvelle formulation du dicamba a été approuvée car elle était censée rendre le produit moins dangereux et moins volatil que ses versions précédentes. Mais ses détracteurs affirment que le feu vert a été donné malgré l’absence d’études concluantes et sous la pression des départements d’agriculture des États, des industriels et des syndicats agricoles.
Selon ces derniers, les paysans avaient absolument besoin de ce nouvel herbicide pour venir à bout des mauvaises herbes résistantes au glyphosate. Elles envahissent les champs et privent le soja de la lumière du soleil et des substances nutritives dont il a besoin. L’abus d’herbicides a rendu ces adventices de plus en plus résistantes et de plus en plus envahissantes ces vingt dernières années.
Lors d’une téléconférence avec des membres de l’Agence de protection de l’environnement, le 29 juillet, des scientifiques travaillant dans une douzaine d’États ont signalé que le dicamba était plus volatil que les fabricants ne l’avaient dit. Des expériences en plein champ menées par des chercheurs des universités du Missouri, du Tennessee et de l’Arkansas ont montré depuis que le dicamba a la capacité de se volatiliser et de gagner d’autres cultures jusqu’à soixante-douze heures après son épandage.
Des études en amont biaisées ou inexistantes sur le terrain
Les autorités en charge de la réglementation ne disposaient pas de ces informations. Monsanto et BASF avaient fourni des centaines d’études à l’EPA, mais seul un petit nombre concernait la volatilité du produit en conditions réelles. La majorité des essais avaient été menés sous serre ou en laboratoire. Selon les règles de l’EPA, ce sont les fabricants qui doivent financer et mener les tests de sécurité sur lesquels cette administration s’appuie pour évaluer les substances.
Bien que les fabricants de pesticides donnent souvent leurs nouveaux produits aux chercheurs des universités pour qu’ils les testent dans divers environnements, Monsanto reconnaît ne pas avoir autorisé d’essais pour le dicamba afin de ne pas retarder son homologation. Et, d’après les scientifiques, BASF a limité les tests.
D’après les chercheurs, cela a permis aux industriels de choisir le type d’informations qu’ils allaient fournir aux autorités. “Monsanto en particulier a fait très peu d’essais sur le terrain”, dénonce Jason Norsworthy, un professeur d’agronomie à l’université d’Arkansas auquel le géant de l’agrochimie n’a pas permis de tester la volatilité de son produit.
L’Agence de protection de l’environnement et les industriels nient qu’il y ait eu une faille dans le processus d’approbation du dicamba. L’EPA déclare :
Il appartient aux candidats à l’homologation de fournir toutes les données requises. Le Congrès a imposé cette obligation aux fabricants de pesticides plutôt que de contraindre d’autres entités à financer et mener la collecte de données.”
Odessa Patricia Hines, porte-parole de BASF, explique de son côté que la société a mis son produit sur le marché “après plusieurs années de recherches, des essais dans des exploitations agricoles et des évaluations par des universités et les agences de réglementation”.
Scott Partridge, vice-président de Monsanto en charge de la stratégie, est d’avis que certains agriculteurs ont illégalement pulvérisé des formulations plus anciennes et plus volatiles ou qu’ils n’ont pas utilisé le bon matériel. L’entreprise, qui a investi 1 milliard de dollars l’année dernière dans des unités de production de dicamba, a déployé une armée d’agronomes et de spécialistes du climat pour déterminer la cause du problème. Il assure :
Nous nous rendons chez tous les agriculteurs et dans tous les champs. Si le produit peut être amélioré, nous le ferons.”
Les États les plus touchés sont également passés à l’action. En juillet, l’Arkansas a interdit les épandages jusqu’à la fin de la saison et augmenté les amendes pour application illégale. Le Missouri et le Tennessee ont renforcé leur réglementation sur l’utilisation du dicamba et une dizaine d’États se sont plaints à l’EPA. En août, celle-ci a laissé entendre à plusieurs scientifiques qu’elle pourrait envisager de retirer les nouveaux désherbants à base de dicamba du marché.
Contactée, l’agence reste vague sur ses intentions. “L’EPA est très préoccupée par les rapports récents sur les dégâts que le dicamba aurait causés aux cultures dans l’Arkansas et dans d’autres parties du pays”, se borne à déclarer un de ses représentants. Un recours collectif a été intenté contre les fabricants en les accusant de déclarations inexactes sur les risques présentés par leurs produits. Les Smith envisagent de s’y associer.
Une efficacité sans doute très limitée dans le temps
Dans le même temps, des signes montrent déjà que le dicamba ne sera peut-être pas efficace très longtemps. Les scientifiques ont montré que l’amarante pouvait développer une résistance à ce produit en trois ans seulement. Des spécimens soupçonnés d’avoir déjà acquis cette caractéristique ont été découverts dans le Tennessee et l’Arkansas. Monsanto n’a “connaissance d’aucun cas confirmé d’amarante résistante” au dicamba, affirme toutefois un porte-parole du groupe.
Les détracteurs de l’utilisation intensive de produits agrochimiques voient dans cette crise une parabole et une anticipation de l’avenir de l’agriculture américaine. Pour Scott Faber, vice-président de l’Environmental Working Group [une ONG de protection de la santé et de l’environnement], les agriculteurs sont “piégés dans une spirale chimique” alimentée par l’industrie de la biotechnologie. Nombre d’agriculteurs sont persuadés qu’ils ne pourraient pas continuer à travailler sans de nouveaux désherbants.
“Nous sommes dans un cul-de-sac”, déplore Nathan Donley, responsable scientifique au Center for Biological Diversity [ONG œuvrant pour la protection des espèces menacées].
La prochaine étape sera la résistance à un troisième produit chimique, puis à un quatrième. Nul besoin d’être un génie pour savoir comment cela va finir. Le vrai problème ici est que l’on utilise dans les cultures des combinaisons de produits toxiques toujours plus complexes, avec des conséquences toujours plus complexes.”
La pollution aux pesticides touche d’abord les viticulteurs et les riverains avant de menacer les consommateurs
On se souvient du combat de Marie-Lys Biberyan contre l’utilisation intensive des pesticides à Bordeaux.
05/04/2017 07:00 CEST | Actualisé 05/04/2017 07:02
Fabrizio BucellaDocteur en science et professeur ordinaire à l’Université Libre de Bruxelles, sommelier, spécialiste du vin et de la bière
On se souvient du combat de Marie-Lys Biberyan contre l’utilisation intensive des pesticides à Bordeaux. Cette ouvrière viticole, titulaire d’une maîtrise en droit, se bat pour faire reconnaître comme maladie professionnelle le cancer des voies biliaires de son frère, décédé en 2009. « Il se croyait à l’abri en vivant à la campagne! Il menait une vie saine; il ne fumait pas, il ne buvait pas. Sa seule faute, c’était son métier de vigneron. » [Vinobusiness, Isabelle Saporta, Albin Michel, 2014]
La déflagration Cash Investigation
Puis il y a eu l’émission « Cash Investigation » de France 2, qui a pointé du doigt la Gironde comme un des plus grands utilisateurs de pesticides, aux côtés de la Loire-Atlantique (Muscadet), de l’Aube et de la Seine-et-Marne (Champagne). Des révoltés bordelais se sont mobilisés. Ils se nomment Dominique Techer, vigneron bio à Pomerol et membre de la confédération paysanne, ou Valérie Murat, fille d’un viticulteur, également décédé d’un cancer. Leur combat? Sortir du déni dans lequel se complaisent les instances, notamment vigneronnes, et mettre en place une nouvelle politique publique, plus respectueuse de l’environnement. [Voir l’émission Cash Investigation complète]
Info Médoc Pesticides
La semaine passée, se tenait la troisième réunion publique du collectif Info Médoc Pesticides, co-fondé par Marie-Lys Biberyan. Des spécialistes y ont fait état d’études scientifiques, qui montrent les liens existants entre certains cancers, celui du sang notamment, et l’utilisation de pesticides. Le chercheur Alain Garrigou explique: « 90 à 95% des produits passent par la peau plus que par les voies respiratoires. » Les ouvriers viticoles, qui préparent les produits phytosanitaires et ceux qui en réalisent l’épandage, sont particulièrement exposés.
Inserm et Parkinson
Une étude toute récente de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) indique que « les personnes qui ne sont pas exposées aux pesticides dans leur cadre professionnel pourraient, comme les agriculteurs, encourir un risque accru de maladie de Parkinson, lorsque l’activité agricole est dense autour de leur lieu d’habitation. » Alexis Elbaz, qui a dirigé l’étude de l’Inserm, détaille: « La corrélation la plus forte est celle liée à la présence la plus élevée de vignobles. Elle augmente l’incidence locale de la maladie d’environ 10%. » [Etude complète parue dans le European Journal of Epidemiology]
Voilà, en somme, ce que craignait un des participants à la réunion Info Médoc Pesticides: « Je travaille à Bordeaux. Je me suis installé dans le Médoc pour avoir une maison à un prix accessible mais aussi pour la qualité de vie que l’on y trouve. Devant chez moi, les vignes sont traitées de façon intensive. Aujourd’hui, je ne peux pas m’empêcher de penser que je fais courir un risque à mes enfants. »
Bourgogne aussi touchée
Une étude de mars 2017 réalisée par Atmos’fair, association agréée par le ministère de l’environnement, sur la qualité de l’air en Bourgogne est sans appel. De mai à août 2016, soit pendant 15 semaines, l’association a détecté 25 molécules sur les 250 pistées. Les fongicides sont les plus représentés avec 13 molécules sur les 25. Suivent les insecticides avec 6 molécules détectées, dont 4 interdites, notamment l’Heptachlore exo-époxide, produit organochloré interdit en agriculture depuis 1978, le Fenpoprathrine (pyréthrinoïde) ou le Fensulfothion (organophosphoré). Ensuite viennent les herbicides avec 5 substances détectées, dont 3 interdites, notamment le Dinoterbe, le Prophame et Tébutame. Il est à noter que le cuivre et le soufre n’ont pas pu être cherchés, alors que leur utilisation est régulière en viticulture, car les méthodes de détection ne sont pas fiables. [Etude complète sur le site Atmosf’air]
Alternatives
Selon Marie-Lys Biberyan, les alternatives existent. En partie, elle conduiraient à un changement radical de notre manière de concevoir l’agriculture… et à une amélioration aussi radicale de notre santé! La militante les a listées dans une tribune publiée sur Le HuffPost: (1) Il faudrait d’urgence « interdire les pesticides cancérigènes, mutagènes et/ou réprotoxiques (dits CMR), qui sont les plus dangereux et sont encore utilisés notamment dans la viticulture. » (2) Il faudrait protéger les zones de vie (écoles notamment) en contact direct avec l’agriculture en n’autorisant que « les produits homologués pour l’agriculture biologique ». Espérons qu’il ne soit pas trop tard pour impulser ces nouvelles dynamiques.
Un agriculteur répand des produits phytosanitaires sur une parcelle à proximité du Mont Saint-Michel, le 25 mai 2016-AFP/Archives/DAMIEN MEYERIl y a trois ans, si on l’avait mis en garde contre les pesticides, Noël Rozé, éleveur laitier, aurait « rigolé », mais il a pris un virage radical et vient de se convertir au bio: le cancer est passé par là.
« J’étais un adepte des phytosanitaires », reconnaît l’éleveur, installé à Caro, dans l’est du Morbihan. « Mais quand je me suis retrouvé à l’hôpital, je me suis mis à penser à tous les agriculteurs que je connaissais et qui sont morts d’un cancer, à commencer par mon père, mort quand j’avais huit ans. »
Une palette de cancers, des cas de Parkinson ou autres maladies neurodégénératives: agriculteurs, techniciens agricoles ou employés dans les espaces verts, ils sont nombreux à avoir développé ces maladies lourdes, souvent liées aux pesticides qu’ils manipulaient régulièrement dans leur travail.
Les effets sur la santé de l’exposition aux produits phytosanitaires ont déjà été évoqués dans le cas des vignerons qui en sont les principaux utilisateurs en France. Mais en dehors de la vigne, la prise de conscience reste encore très modeste.
Quand le technicien agricole qui assure le suivi des exploitations passe dans une ferme, « en cinq minutes, il réussit à rassurer l’agriculteur sur tous les soupçons qu’il aurait pu avoir », déplore Noël Rozé, grand gaillard à l’apparence indestructible.
« J’ai commencé très tôt à travailler avec ces produits et personne ne parlait de leurs dangers (…) On bouffait les vapeurs sans se rendre compte, on travaillait sans protection », se souvient-il.
Pourtant, le problème est bien présent. Il y a un an, Michel Besnard a fondé avec d’autres un « Collectif de soutien aux victimes des pesticides ». Rapidement, plusieurs dizaines de personnes qui, jusqu’alors, vivaient leur maladie en solitaire, ont pris contact avec le collectif.
« Une majorité de paysans, des salariés agricoles mais aussi des techniciens travaillant dans les espaces verts. Le dernier (malade) rencontré traitait le varron (un parasite) dans les fermes. Il a développé un cancer des voies biliaires. C’est la colère qui nous mène! », assure l’énergique bénévole, à la retraite depuis peu.
- ‘Les gouttes retombaient sur nous’ -
Francis Sourdril a passé toute sa carrière dans les services espaces verts de collectivités territoriales. « J’ai commencé en 1974, à une époque où on ne supportait pas le moindre brin d’herbe qui dépasse », se souvient-il. « J’étais en charge de la roseraie. J’y allais à fond avec les produits, il fallait créer de l’émotion. On pulvérisait même en l’air pour traiter les pergolas et les gouttes retombaient sur nous… »
Ce n’est qu’au milieu des années 90 que les équipements de protection sont apparus, accompagnés d’examens de santé spécifiques chaque année.
« A partir de 2004, j’ai commencé à avoir mal partout, une grosse fatigue, je maigrissais. Les médecins ne trouvaient rien. On me parlait d’arthrose ». Finalement, en 2016, le verdict est tombé: à 62 ans, Parkinson.
« J’ai retrouvé 48 spécialités commerciales que j’utilisais, dont 37 sont aujourd’hui retirées du marché », comptabilise le paysagiste. Avec cette maladie, « on est inscrit dans une déchéance programmée dont on ne connaît pas le calendrier », souligne-t-il, fataliste.
- Administration réticente -
Comme d’autres, Noël Rozé et Francis Sourdril ont entamé les démarches pour que leur état soit reconnu comme maladie professionnelle. Mais tous se plaignent du parcours du combattant imposé par une administration réticente à leur reconnaître ce statut.
L’administration « fait de l’obstruction permanente (…) Tout est fait pour que les gens ne soient pas informés de leurs droits », dénonce Michel Besnard dont le Collectif aide ceux qui le souhaitent à constituer leur dossier. « D’où l’importance de l’action collective: quand on arrive à deux ou trois dans un bureau, la personne est tout de suite mieux prise en compte… »
« Ceux qui soutiennent les pesticides sont des criminels », affirme l’animateur du collectif, soulignant « les vies détruites et les drames créés par ces produits dans les familles ».
« La maladie est partout dans les campagnes, mais, considère-t-il, on n’en parle pas à cause de la pression sociale. »
Un agriculteur répand des produits phytosanitaires sur une parcelle à proximité du Mont Saint-Michel, le 25 mai 2016-AFP/Archives/DAMIEN MEYERIl y a trois ans, si on l’avait mis en garde contre les pesticides, Noël Rozé, éleveur laitier, aurait « rigolé », mais il a pris un virage radical et vient de se convertir au bio: le cancer est passé par là.
« J’étais un adepte des phytosanitaires », reconnaît l’éleveur, installé à Caro, dans l’est du Morbihan. « Mais quand je me suis retrouvé à l’hôpital, je me suis mis à penser à tous les agriculteurs que je connaissais et qui sont morts d’un cancer, à commencer par mon père, mort quand j’avais huit ans. »
Une palette de cancers, des cas de Parkinson ou autres maladies neurodégénératives: agriculteurs, techniciens agricoles ou employés dans les espaces verts, ils sont nombreux à avoir développé ces maladies lourdes, souvent liées aux pesticides qu’ils manipulaient régulièrement dans leur travail.
Les effets sur la santé de l’exposition aux produits phytosanitaires ont déjà été évoqués dans le cas des vignerons qui en sont les principaux utilisateurs en France. Mais en dehors de la vigne, la prise de conscience reste encore très modeste.
Quand le technicien agricole qui assure le suivi des exploitations passe dans une ferme, « en cinq minutes, il réussit à rassurer l’agriculteur sur tous les soupçons qu’il aurait pu avoir », déplore Noël Rozé, grand gaillard à l’apparence indestructible.
« J’ai commencé très tôt à travailler avec ces produits et personne ne parlait de leurs dangers (…) On bouffait les vapeurs sans se rendre compte, on travaillait sans protection », se souvient-il.
Pourtant, le problème est bien présent. Il y a un an, Michel Besnard a fondé avec d’autres un « Collectif de soutien aux victimes des pesticides ». Rapidement, plusieurs dizaines de personnes qui, jusqu’alors, vivaient leur maladie en solitaire, ont pris contact avec le collectif.
« Une majorité de paysans, des salariés agricoles mais aussi des techniciens travaillant dans les espaces verts. Le dernier (malade) rencontré traitait le varron (un parasite) dans les fermes. Il a développé un cancer des voies biliaires. C’est la colère qui nous mène! », assure l’énergique bénévole, à la retraite depuis peu.
- ‘Les gouttes retombaient sur nous’ -
Francis Sourdril a passé toute sa carrière dans les services espaces verts de collectivités territoriales. « J’ai commencé en 1974, à une époque où on ne supportait pas le moindre brin d’herbe qui dépasse », se souvient-il. « J’étais en charge de la roseraie. J’y allais à fond avec les produits, il fallait créer de l’émotion. On pulvérisait même en l’air pour traiter les pergolas et les gouttes retombaient sur nous… »
Ce n’est qu’au milieu des années 90 que les équipements de protection sont apparus, accompagnés d’examens de santé spécifiques chaque année.
« A partir de 2004, j’ai commencé à avoir mal partout, une grosse fatigue, je maigrissais. Les médecins ne trouvaient rien. On me parlait d’arthrose ». Finalement, en 2016, le verdict est tombé: à 62 ans, Parkinson.
« J’ai retrouvé 48 spécialités commerciales que j’utilisais, dont 37 sont aujourd’hui retirées du marché », comptabilise le paysagiste. Avec cette maladie, « on est inscrit dans une déchéance programmée dont on ne connaît pas le calendrier », souligne-t-il, fataliste.
- Administration réticente -
Comme d’autres, Noël Rozé et Francis Sourdril ont entamé les démarches pour que leur état soit reconnu comme maladie professionnelle. Mais tous se plaignent du parcours du combattant imposé par une administration réticente à leur reconnaître ce statut.
L’administration « fait de l’obstruction permanente (…) Tout est fait pour que les gens ne soient pas informés de leurs droits », dénonce Michel Besnard dont le Collectif aide ceux qui le souhaitent à constituer leur dossier. « D’où l’importance de l’action collective: quand on arrive à deux ou trois dans un bureau, la personne est tout de suite mieux prise en compte… »
« Ceux qui soutiennent les pesticides sont des criminels », affirme l’animateur du collectif, soulignant « les vies détruites et les drames créés par ces produits dans les familles ».
« La maladie est partout dans les campagnes, mais, considère-t-il, on n’en parle pas à cause de la pression sociale. »
Six anciens salariés de Triskalia accusent le géant de l’agroalimentaire breton de les avoir exposés sciemment aux pesticides. Tous sont malades. Jeudi 22 septembre, le tribunal des affaires sociales de Saint-Brieuc rendra sa décision sur l’indemnisation de deux d’entre eux, qui réclament chacun 465.000 euros. Cette affaire révèle les coulisses de l’usage des pesticides dans l’agro-industrie.
Glomel, Plouisy (Côte-d’Armor), reportage
Dans le paysage breton, impossible d’éviter Triskalia, première coopérative agricole, issue de nombreuses fusions et rachats et devenue un géant : 18.000 agriculteurs adhérents, 4.800 salariés, et 300 sites. On retrouve le groupe sous les enseignes Point vert et Gamm vert, les marques Paysan breton, ou Mamie Nova. Triskalia est incontournable. Mais depuis quelques années, elle a aussi été impliquée dans plusieurs affaires d’intoxication de salariés. La première et la plus emblématique a éclaté à Plouisy, en 2011.
C’est dans ce bourg situé près de Guingamp que siège Nutréa, la filiale de Triskalia dédiée à l’alimentation animale. Dans ses immenses silos sont stockées une centaine de milliers de tonnes de céréales destinées à nourrir les élevages industriels de la région. À partir de 2009, les salariés de Nutréa ressentent d’étranges symptômes. « J’ai commencé à avoir mal à la tête et aux yeux. Je prenais jusqu’à 5 Nurofen 400 par jour pour conduire malgré tout. Puis j’ai eu des flashs : une coupure, un blanc, une reprise, et je ne savais pas ce qu’il s’était passé », raconte Claude Le Guyader, ancien chauffeur.
« Des charançons, des silvains, des vers de farine, ça grouillait de partout »
« Le soir, quand je prenais mon fils sur les genoux, il développait des plaques rouges sur le visage. Un jour, en rentrant du boulot, j’ai oublié mon bleu de travail chez moi, près du bassin à poissons. Le lendemain matin, les poissons étaient tous morts », se souvient de son côté Laurent Guillou, ancien manutentionnaire.
28 salariés en tout consultent la médecine du travail et quatre d’entre eux découvrent petit à petit qu’ils sont gravement contaminés par des insecticides, dont l’un, le Nuvan Total, est interdit d’usage pour sa dangerosité [1].
Nutréa, la filiale de Triskalia dédiée à l’alimentation animale, à Plouisy.
Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut remonter à 2008. Cette année-là, la direction décide de réduire la ventilation des silos pour faire des économies d’électricité. Bientôt, 100.000 tonnes de céréales sont infestées par des insectes : « Des charançons, des silvains, des vers de farine, ça grouillait de partout », se souvient Laurent Guillou. La direction décide alors de traiter ces céréales avec des insecticides, en surdosage et jusqu’à 30 fois les doses prescrites, dont le fameux Nuvan Total.
Les silos de l’entreprise Nutréa, à Plouisy.
Non informés, les salariés travaillent sur les vastes tas de céréales imbibées de produits, sans masque ni gants. Ils enchaînent les arrêts maladie sans comprendre la cause de leurs maux, et envoient des fax d’alerte à leur direction, située à 150 km de l’usine. Pas de réaction.
Dans le film Les Sentinelles, de Pierre Pézerat, Laurent Guillou montre au réalisateur les bassins de rétention des eaux usées à l’arrière de la coopérative. « J’étais venu faire une promenade un soir avec le chien. Il est allé boire un peu d’eau dans ces lagunes. Le lendemain matin, le chenil était couvert de sang. Le chien avait fait une hémorragie. Il a eu les mêmes symptômes que nous : c’était des vomissements sanguins, des crachements sanguins, des diarrhées sanguines et des irritations des muqueuses. Mais le chien, malheureusement, lui n’a pas survécu. »
« Autour de l’usine, c’était Tchernobyl »
En 2011, les deux manutentionnaires Laurent Guillou et Stéphane Rouxel sont jugés inaptes par la médecine du travail puis licenciés par l’entreprise. Il en sera de même pour Claude Le Guyader, chauffeur, et Pascal Brigant, adjoint aux transports. Tous les quatre jugent leur licenciement abusif. Ils attendent une audience aux prud’hommes.
Laurent Guillou, ancien manutentionnaire de Nutréa.
Les quatre salariés ont développé une maladie invalidante et rare, connue chez les vétérans du Vietnam et de la guerre du Golfe : l’hypersensibilité aux produits chimiques. Laurent ne peut pas entrer dans un supermarché à cause des détergents, ne supporte plus le parfum, ne peut plus manger que du bio. Deux des salariés sont parvenus à faire condamner la coopérative en septembre 2014 pour « faute inexcusable de l’employeur ». C’est une première pour les victimes des pesticides. Leur avocat, François Lafforgue, demande 465.000 euros pour chacun. Le tribunal rendra sa décision jeudi 22 septembre.
Le site de l’usine Nutréa.
Mais le scandale ne s’arrête pas aux seuls cas des salariés. « Il n’y avait plus un canard, plus un moineau, plus un pigeon, plus un rat. Autour de l’usine, c’était Tchernobyl. » Pire encore, la coopérative a vendu ses céréales imbibées de pesticides aux agriculteurs pour nourrir leurs bêtes. Dans le Finistère, un porcher industriel adhérent de Triskalia témoigne : « En juin 2009, en ouvrant un sac d’aliments reçu de ma coopérative, c’est comme si quelque chose me pétait à la gueule, j’ai ressenti des brûlures au visage, au cou et aux avant-bras. Quand je me suis regardé dans la glace, c’était atroce, j’étais tout gonflé. »
Les salariés chargés de la livraison de l’aliment attestent, eux, avoir vu à l’entrée des fermes « des tas d’animaux crevés ». Thierry Thomas, éleveur de porcs, habitant à deux pas de Nutréa, confie :« Les dirigeants de la coopérative ne nous ont jamais informés de ce problème sur l’aliment. C’est inadmissible. Mes cochons ont sans aucun doute été nourris avec ces céréales, puis sont partis à l’abattoir et sur les chaînes de consommation. Je suis éleveur et je n’ai pas envie d’empoisonner qui que ce soit avec mes animaux. » De son côté, le manutentionnaire Laurent Guillou a envoyé« des dizaines de fois des feuilles de non-conformité de l’aliment » aux services achat, production et qualité. « Tout le monde savait, personne n’a bougé. »
« Tous aujourd’hui sont morts ou atteints de cancer »
Tout porte donc à croire que des pesticides interdits et en surdosage ont atterri dans nos assiettes. Et ni la direction générale de l’Alimentation ni celle de la Répression des fraudes ne semblent avoir mené d’enquête sur cette question, comme l’indiquait France Inter en 2015.
Mais la réussite de l’affaire de Plouisy est due au solide réseau syndical et associatif qu’elle a engendré, constitué notamment de l’union syndicale Solidaires et du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest. Ce réseau a permis de recenser d’autres victimes de Triskalia partout sur le territoire breton. Et en particulier sur un site vital de la coopérative, situé à Glomel, en plein cœur de la Bretagne.
Le site de Glomel (Côtes-d’Armor), près de Carhaix, la plaque tournante des produits chimiques vendus par Triskalia.
Le site de Glomel (Côtes-d’Armor), près de Carhaix, est en quelque sorte la plaque tournante des produits chimiques vendus par Triskalia. « C’est par là que transitent 90 % des pesticides commercialisés par la coopérative », explique Raymond Pouliquen [2], un ancien salarié parti pour invalidité. Il s’agit d’un site de 12 ha classé Seveso seuil haut, dans lequel sont stockées environ 65.000 tonnes de produits. Raymond Pouliquen et son fils Noël ont tous deux travaillé au stockage et au transport des produits.
Noël Pouliquen, ancien salarié du site de Glomel.
Raymond a 69 ans, et cela fait 20 ans qu’il se bat contre une leucémie. Noël a 49 ans, on lui a détecté un lymphome en 2015. C’est parce qu’ils n’ont plus rien à perdre qu’ils ont osé briser le silence, lors d’une conférence de presse tenue à Rennes, le 9 septembre dernier, sur les conditions de travail dantesques dans lesquelles Coopagri, devenue Triskalia en 2010, les a plongés pendant près de 20 ans chacun.
Ils décrivent le bâtiment surchargé de palettes de pesticides, et de semences enrobées. « Avec les engins, on devait slalomer entre les bidons et les sacs de pesticides, certains éventrés ou percés, qui s’écoulaient à même le sol. Les aérations, quant à elles, étaient bouchées par les palettes entreposées là. Nous n’avions ni masque ni gants. Les déchets et les pesticides invendus, interdits pour leur dangerosité, étaient jetés et brûlés sur le lopin de terre voisin. » Et Noël et Raymond de conclure : « Sur 14 salariés que nous étions dans les années 1990 au local phytosanitaires, tous aujourd’hui sont morts ou atteints de cancer. » Tout cela se passe, qui plus est, non loin de la réserve naturelle du Lan Bern, et d’une zone de captage d’eau potable.
Raymond Pouliquen se bat depuis 20 ans contre une leucémie. Son fils, Noël, souffre d’un lymphome, détecté en 2015. Tous les deux travaillaient sur le site de Glomel.
Des agriculteurs qui pulvérisent des pesticides, des ouvriers qui en respirent, des cochons qui en mangent et des consommateurs qui mangent des cochons. L’affaire Triskalia jette une lumière crue sur les coulisses de l’usage des pesticides dans l’agriculture. Mais aussi sur les pratiques de certaines coopératives agricoles, issues de l’économie sociale et devenues des géants économiques. Pour l’historien Alain Chatriot, le fonctionnement de ces grosses coopératives agricoles, pourtant essentielles dans la production industrielle des aliments, est si peu connu et réglementé qu’elles constituent une des « zones grises » de notre époque.
Mise au point sur le Collectif Info Médoc Pesticides et sur ce site.
Le Collectif Info Médoc Pesticides est actuellement l'objet d'attaques sur son existence légale, de la part du milieu viticole local. Ayant pour seul but de me faire taire sur leurs manquements en matière de conditions de travail et d'obligation de sécurité.
Je n'y apporterai pas d'autre réponse que celle-ci :
La structure "Collectif" ou association dite de fait, est parfaitement légale et tout ce qui est publié ici et sur le site infomedocpesticides.fr l'est de mon propre fait, j'en suis le seule auteur et ici comme ailleurs, j'assume et revendique tout ce que j'écris, tout ce que je dis et tout ce que je fais.
Marie-Lys Bibeyran,
pour le Collectif Info Médoc Pesticides.
DEFINITION DU MEDOC.
Médoc = territoire viticole où des travailleurs des vignes, des riverains, des enfants meurent au vu et au su de tous, mais dans l'indifférence générale au nom d'un prestige qui ne sera jamais le leur !
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Médoc, une viticulture hors normes ?
La viticulture médocaine expose gravement et durablement ses travailleurs des vignes aux pesticides et les prive du droit élémentaire à la reconnaissance de maladie professionnelle.
Résidus de pesticides dans habitations et école du Médoc.
Analyse d'échantillons de poussières prélevés dans habitations situées entre 1m et 500m des vignes, Ainsi que dans une salle de classe d'une école située à 50m des vignes. Tous les intérieurs sont contaminés par les pesticides.
Interdiction Pesticides, Ici et Maintenant.
Ouvrière viticole en Gironde, Marie-Lys Bibeyran anime un comité de bagarre contre les pesticides, le collectif Info Médoc Pesticides, depuis le drame qui a touché son frère. Elle raconte son combat pour faire reconnaitre les maladies des ouvriers liés aux produits chimiques.
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