10 ans…Vis ma vie de Lanceuse d’Alerte

« La pathologie dont est décédé Mr Bibeyran Denis est susceptible d’être d’origine professionnelle » Docteur Alain Parfondry, Mardi 31 mai 2011.

À ce moment-là, l’émotion ressentie est indescriptible. Ce sur quoi je travaille dans le plus grand secret depuis quelques mois, se concrétise. 19 mois après le décès de mon frère d’un cancer des voies biliaires intra hépatiques (cholangiocarcinome, un nom barbare pour un mal qui l’est tout autant), j’ai entre les mains le sésame qui va m’ouvrir grandes les portes de sa Reconnaissance Post Mortem de Maladie Professionnelle. C’est du moins ce que j’espère, mais je ne suis ni naïve ni novice et je sais que j’en prends au minimum pour …10 ans. C’est en tous les cas l’échéance que je me fixe à ce moment-là. Quant aux portes grandes ouvertes, je comprends très vite que je vais devoir en forcer plus que je ne le pense.

Deux jours avant ce 31 mai, je profite de la détente et de la convivialité de fin de repas familial de fête des Mères, pour annoncer ce qu’aucun ne soupçonnait alors : un tsunami. J’entame une procédure en Reconnaissance Post Mortem de Maladie Professionnelle au nom de Denis. Une procédure face au mastodonte qu’est pour tout ouvrier agricole, la Mutualité Sociale Agricole de la Gironde. Solliciter son médecin  généraliste dont personne ne doute – à juste titre – pour obtenir le certificat médical initial. Demander aux employeurs de Denis, proches de la famille ou considérés comme tels jusqu’alors, la liste des pesticides auxquels il a été exposé durant ses 24 ans de serf-vice. Bizarrement, malgré une soi-disant relation affective, qui se révèlera plus encombrante qu’autre chose, les avis sont déjà partagés sur leur promptitude à coopérer. Pas d’hyper adhésion, pas d’opposition claire et catégorique parmi la famille réunie ce 29 mai 2011, mais des silences et visages perplexes qui en diront long. Préparée psychologiquement à affronter un microcosme viticole médocain que je pratique déjà de ma place de fille d’ouvriers, je ne l’étais pas à subir les ruptures familiales qui suivront. La première opposition fut celle de mon père, choc générationnel oblige et son dévouement à la viticulture locale, ont creusé un cratère entre nous qui après des semaines de non-dits, a mis des années à vraiment se combler.

Toute anticipation de ce qu’une telle démarche peut induire à ses limites, comment anticiper ce qui est insoupçonnable ? Connaître mes interlocuteurs devenus adversaires, ne m’a pas évité de nombreuses mauvaises surprises. Préparée psychologiquement,  j’étais pourtant très en –dessous de la violence, de la perversité, des pressions et de l’incompréhension subies tout au long de ces 10 années. Préparée à subir des attaques de la part de la planète viticole médocaine et girondine je ne l’étais pas à ce que ma famille en soit la cible. Je ne l’étais pas non plus à ce que ces attaques proviennent non pas des responsables que je visais mais de ceux qui se sont élevés en garde rapprochée.

C’est incompréhensible mais une partie de la société civile bien que dénuée d’intérêts économiques à défendre, s’est arc boutée contre mon action et contre celle de tous les lanceurs d’alerte sur les effets des pesticides sur la santé. Alors même qu’à terme ces personnes profiteront des avancées liées à l’Alerte. Les dangers des pesticides pour la santé de tous sont devenus difficilement contestables, les micro mesures consenties par les pouvoirs publics pour rassurer la population et la férocité des fabricants pour les empêcher le prouvent. Pourtant, les Lanceurs d’Alerte sur les pesticides sont plus mal traités que ceux qui contaminent nos sols, nos mers et l’air, hypothéquant toute survie sur Terre. Ils sèment la maladie et la mort, nous luttons pour la santé et la vie, et sommes envoyés au bûcher. Je pense là tout particulièrement à ma camarade Valérie Murat, qui subit une mise à mort judiciaire, sociale financière, pour avoir mis à jour une tromperie délibérée du consommateur via le label HVE (Haute Valeur Environnementale). Soutenue certes, mais pas autant qu’elle le devrait. Quelle soit assurée de mon entier soutien, ici, maintenant et aussi longtemps que nécessaire.

Soutenues nous le sommes oui, de formidables élans de solidarité nous ont permis de mener diverses actions, d’ailleurs souvent menées conjointement avec Valérie. Y compris celle qui l’amène aujourd’hui à une mise sous hypothèque de sa vie.

Je remercie chacune et chacun qui m’a un jour manifesté son soutien, par un mot, une adhésion, un don, une aide matérielle. Ne sous estimez pas la préciosité de votre présence. J’ai aussi eu la chance d’être accompagnée par 2 personnes devenues proches, Mesdames Escorne et Machado, qu’elles sachent que tout ce qui a été réalisé avant et pendant le Collectif Info Médoc Pesticides, leur doit beaucoup. Moi également.

Malgré cet élan d’Humanité suscité par nos actions de Lanceurs d’Alerte, malgré la présence à mes côtés d’une cellule familiale (ma fille et mon conjoint) solide et remarquablement compréhensive et impliquée, c’est la solitude qui prédomine. Vous êtes et restez seul face aux attaques, aux sollicitations. C’est l’ascenseur émotionnel permanent. Tout est décuplé, bon comme mauvais. Lanceur d’Alerte c’est en plus de notre vie de Mr et Mme Tout le Monde. Ce n’est pas notre métier 7h par jour, 5 jours par semaine, qu’on oublie en rentrant chez soi. C’est une seconde peau.

Ce qui incite à se renfermer voire à se désociabiliser. Soigneusement sélectionner et limiter ses relations sociales, ce n’est pas « prendre la grosse tête » c’est se protéger. Mme Yasmine Mortajemi Lanceuse d’Alerte sur la sécurité alimentaire chez Nestlé à une expression qui me parle particulièrement, elle dit que lorsque vous êtes Lanceur d’Alerte vous devez « mettre votre âme en camisole », voilà c’est exactement cela.

Nous ne visons pas une carrière politique, nous ne sommes pas assoiffés de pouvoir – sinon je n’aurais pas refusé les diverses propositions politiques – nous poursuivons l’unique objectif de l’intérêt commun. 

La forte médiatisation, qui nous a souvent été reprochée, a toujours été un moyen jamais une fin. Qu’adviendrait-il des Lanceurs d’Alerte aujourd’hui en France si on brûlait encore les dissidents sur un bûcher ?

Point de doléances, juste des mots sur un quotidien de 10 ans, pavé de pressions, attaques en tous genres, harcèlement moral, pertes d’emploi, ruptures familiales…que d’aucuns croient connaître.

10 ans…Bien sûr que j’avais imaginé un autre bilan, plus positif pas idyllique mais meilleur. Rapports, Enquêtes, Actions diverses, qu’est-ce qu’il en reste ?

Les conversions en culture Biologique et Biodynamique sont de plus en plus nombreuses mais restent minoritaires, à part l’éveil des consciences citoyennes quelle raison avons-nous de nous réjouir ? Faut déployer force et énergie pour seulement obtenir une information minimaliste en amont des traitements, toute voie de médiatisation est verrouillée, criminalisation des actions des Lanceurs d’Alerte environnementalistes via la cellule Demeter…

Si la situation actuelle avait été celle-là en 2011, rien n’aurait été possible.

J’aurais voulu faire plus, mieux. Plus que nos adversaires qui ont gagné, c’est la société toute entière qui a perdu.

Le bilan aurait pu être autre. Si la préciosité de la vie, l’avait plus souvent emporté sur la préciosité des relations avec les puissants. Beaucoup trop sacrifient l’intérêt commun pour une place à la droite des saigneurs qui font construire des chais cathédrale pour s’assurer le Paradis.

Ceux qui auraient pu parler ou agir, justifient le silence ou l’immobilisme par la peur, mais la peur est prétexte. Lanceur d’Alerte ce n’est pas ne pas avoir peur, c’est être porté par une éthique, une exigence.

Einstein disait que le Monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent faire, un jour nos enfants nous accuseront mais nous pourrons leur répondre que nous avons essayé.

 

Marie-Lys Bibeyran.

21 Réponses à “10 ans…Vis ma vie de Lanceuse d’Alerte”

  1. Colette Buissière dit :

    Toute mon admiration pour votre détermination et votre ténacité.
    Votre courageux combat ne sera pas vain. Vous avez beaucoup agit auprès des responsables et aussi beaucoup informé sur internet. Grâce à vous, nous avons pu prendre conscience des dangers et changer nos choix de consommation.
    Je vous en remercie sincèrement.

  2. Martine Herber dit :

    Je vous admire car peu de gens ont le courage que vous nous montrez.
    J’espère de tout coeur que nos responsables politiques comprendront un jour leurs erreurs et qu’il ne sera pas trop tard.

  3. Gérard DUIGOU dit :

    Un grand merci à vous au nom de tous les miens pour votre amour de la Vie et votre détermination à la défendre !

  4. Henrich dit :

    Madame, je vous admire éperdument ! Votre travail inlassable a contribué à faire reculer les mensonges de puissants groupes de pression et à ouvrir les yeux de nombreuses personnes sur les ravages de la viticulture conventionnelle. Mine de rien, vous avez déplacé des montagnes ! Bravo et merci!

  5. Isabelle dit :

    Bravo pour votre courage et votre persévérance . Merci pour l’exemple que vous nous donnez.

  6. oliviante dit :

    Il y a de quoi être décue, désespérée, mais je suis sûre que, dans quelque temps…, tous les combats que vous avez menés, s’avéreront positifs….

  7. Marino dit :

    Merci pour votre combat, pour vos infos, pour votre persévérance, votre courage. Continuez de nous donner de vos nouvelles.

  8. sareyan dit :

    Merci de votre histoire, celle de tous ceux qui s’opposent à « l’ordre des choses » en ces temps mercantiles, mesquins, celui des calculateurs du très court terme.
    Pour l’instant, et dans le meilleur des cas, leur lutte est assimilée, ‘récupérée’, des demi-mesures promulguées (le ‘verdissement’ actuel). Dans le pire des cas (certains pays) on les assassine froidement. Le cas intermédiaire est de les tourner en dérision (le ‘retour à la bougie’), de les isoler afin que rien ne se propage, …et puis si cela ne marche pas non plus, et de préférence après leur mort, leur élever des statues.

    Vous n’avez pas honte d’avoir du courage ?
    Amicalement.
    Jean Pierre.

  9. Lucien dit :

    Toute mon admiration et mon soutien.
    Quelle vérité dans cette phrase : »Les Lanceurs d’Alerte sur les pesticides sont plus mal traités que ceux qui contaminent nos sols, nos mers et l’air, hypothéquant toute survie sur Terre. Ils sèment la maladie et la mort, nous luttons pour la santé et la vie. »
    Et une nouvelle pac qui se dessine malheureusement à l’encontre de nos convictions.
    La vie l’emportera, il ne peut en être autrement, mais dans combien de temps ?

    • Rahlf dit :

      La vie l’emportera quand la plupart des humains auront disparus et que des survivants sauront se souvenir pourquoi, pour ne pas répéter leurs erreurs.

  10. Seb dit :

    « C’est incompréhensible mais une partie de la société civile bien que dénuée d’intérêts économiques à défendre, s’est arc boutée contre mon action et contre celle de tous les lanceurs d’alerte sur les effets des pesticides sur la santé »

    Qu’est ce que vous ne comprenez pas dans la corruption de nos élus par les lobbys phytopharmaceutiques? ;)

    Bravo à vous, le combat continue !!!

  11. BONIN Francine dit :

    Continuez pour que nous aussi nous puissions continuer.
    Merci à tous ceux qui luttent.
    Bon courage à vous et à tous.

  12. Mevel Yves dit :

    Merci de ce petit rappel qui remet au clair votre combat et nous remobilise pour vous soutenir. Tout mon admiration.
    Yves

  13. Thalie dit :

    Lanceurs d’alertes, sont et resteront les héros pour les générations futures! Votre combat ne reste pas sous silence, mais la lenteur /laxisme des citoyens donne l’impression n’un « inutile acte ». Il n’en est rien.
    Même si effectivement, « Si la préciosité de la vie, l’avait plus souvent emporté sur la préciosité des relations avec les puissants. Beaucoup trop sacrifient l’intérêt commun pour une place à la droite des saigneurs qui font construire des chais cathédrale pour s’assurer le Paradis. »

    Grâce à vous et les courageux lanceurs d’alertes, certains changent leurs choix quotidiens.
    Un immense merci de votre sincère dévouement pour la survie sans d’empoissonnement, pollution…

  14. Schoeller dit :

    Toutes mes félicitations , mon admiration et mes encouragements pour les combats que vous menez auxquels je participe un peu en signant toutes les pétitions et en aidant à les diffuser. Merci à vous

  15. Cécile dit :

    MERCI !

  16. Danielle dit :

    Merci Madame pour votre combat qui doit devenir aussi le nôtre dans nos choix quotidiens. Un jour, j’espère …

  17. SCHNAKE dit :

    Toute mon admiration et mon soutien pour le courageux combat que vous menez.

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