Exposition professionnelle aux pesticides et leucémie aiguë myéloïde.
Origine de l’article : https://francais.medscape.com/voirarticle/3606915#vp_1
Des chercheurs français démontrent un lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et risque de leucémie aiguë myéloïde
Tours, France — En analysant les données scientifiques publiées sur les 75 dernières années, une étude du CHRU de Tours établit un lien formel entre exposition professionnelle aux pesticides et risque de leucémie aiguë myéloïde. Ces travaux ont été publiés dans Scientific Reports (groupe Nature) [1]. Ils sont commentés pour Medscape par le Pr Olivier Hérault, hématologue (CHRU de Tours) et dernier auteur de l’article.
Reprendre toutes les données depuis 1946
Il est désormais clair, depuis de nombreuses années, que l’exposition professionnelle à de fortes doses de pesticides augmente le risque de développer une hémopathie lymphoïde (lymphome non-hodgkinien , myélome). « En revanche, le lien avec les leucémies myéloïdes aiguës, qui sont les plus fréquentes chez les adultes mais aussi plus graves, n’avait jusqu’à présent pas été établi » explique en préambule le Pr Hérault. Une méta-analyse publiée en 2007, avait bien montré une tendance, mais cela n’était pas concluant d’un point de vue statistique [2], ajoute-t-il. D’où l’idée des chercheurs en hématologie de Tours de « repartir à zéro », en reprenant toutes les données publiées depuis 1946.
Après avoir étudié attentivement près de 7000 références issues de trois grandes bases de données (MEDLINE, EMBASE, Cochrane) sur les 75 dernières années, les chercheurs ont retenu 197 publications. Puis, sur la base de critères de qualité très précis, 14 études ont été incluses (appartenant à la période 1986-2017) portant sur près de 4000 patients présentant une leucémie aiguë myéloïde (LAM) pour environ 10 000 sujets témoin.
Augmentation du risque de 50%
L’analyse globale a montré une association défavorable significative entre l’exposition aux pesticides à doses professionnelles et la survenue d’une leucémie aiguë myéloïde. « Le risque relatif que nous avons trouvé est de 1,51 (risque à 1 pour des sujets non exposés), avec une certitude à 95% qu’il est compris entre 1,10 et 2,08 – soit une augmentation du risque de 50% en présence de fortes doses de pesticides » commente le Pr Hérault, en précisant bien que « si risque statistique il y a, en revanche, le lien de causalité devra être établi par des études biologiques ».
En allant plus dans le détail, les chercheurs ont montré que parmi les différents types de produits phytosanitaires impliqués (fongicides, insecticides, herbicides…), les insecticides étaient ceux qui démontraient le lien le plus fort, avec un risque relatif de 1,71. Par ailleurs, les populations asiatiques et américaines présentaient un risque plus élevé que les populations européennes. Concernant les asiatiques, l’hématologue évoque l’idée d’une composante génétique pour expliquer cette observation. « Un des mécanismes moléculaires potentiels de cette toxicité dans la moelle osseuse identifié par l’équipe de chercheurs tourangeaux tend à appuyer cette hypothèse » précise le Pr Hérault.
Une corrélation pesticides / incidence des LAM aux Etats-Unis
Par ailleurs, pour analyser la réalité de l’impact des pesticides en termes d’épidémiologie, les chercheurs ont repris les données de la FAO, branche de l’Organisation des Nations Unies concernant l’agriculture, sur l’utilisation des pesticides aux Etats-Unis et celles du ministère de la santé américain (NIH) sur l’incidence des leucémies aiguës myéloïdes dans ce pays. « En regardant année par année, nous avons observé une corrélation entre l’utilisation des pesticides et l’évolution de l’incidence des leucémies aiguës myéloïdes aux Etats-Unis entre 1990 et 2016 (voir graphe ci-après). Ce qui renforce le lien statistique qui existe entre les deux » considère le chercheur.
Corrélation entre la consommation en pesticides (histogramme) et l’incidence des leucémies aiguës myéloïdes (trait noir) aux USA entre 1990 et 2016 [1].
Aider à la reconnaissance en maladie professionnelle
Sur ce sujet d’actualité – et volontiers polémique – le Pr Hérault se défend de vouloir rentrer dans un « débat politique » sur la problématique des produits phytosanitaires. S’en tenant à son rôle de scientifique, il rappelle néanmoins la nécessité d’une réflexion sociétale sur cette question et énonce des messages de prévention à l’attention des agriculteurs. Ces derniers » doivent impérativement utiliser des mesures de protection recommandées vis-à-vis des pesticides ». Les conclusions obtenues doivent aussi les inciter à limiter – autant que faire se peut – l’utilisation de produits phytosanitaires, et elles conduisent aussi à s’interroger sur les distances minimales entre les zones d’épandage de ces fortes doses de pesticides et les lieux d’habitation » ajoute-t-il. Très concrètement, le résultat de cette étude conséquente est aussi susceptible d’aider à la reconnaissance en maladie professionnelle de la LAM chez les agriculteurs, ce qui n’est pas le cas actuellement avec les pesticides, indique l’hématologue.
S’intéresser aux faibles doses
Mais au-delà de la démonstration avec des fortes doses, l’idée qui taraude les chercheurs tourangeaux est de savoir si, par un effet rémanent, de faibles doses de pesticides – celles auxquelles la population générale est exposée, notamment via l’alimentation – pourraient être s à l’origine d’états pré-leucémiques. « L’impact de ces faibles doses de produits phytosanitaires sur la santé humaine est une vraie question » considère le Pr Hérault.
« C’est pourquoi des recherches biologiques sont nécessaires pour identifier, voire contrer, les mécanismes cellulaires par lesquels les pesticides seuls ou en association (effet cocktail) augmentent le risque de développer une leucémie aiguë myéloïde. Et c’est ce sur quoi nous travaillons actuellement au laboratoire », conclut-il.
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